Thorgal, dans les griffes de Kriss

{xtypo_dropcap}N{/xtypo_dropcap}i film, ni BD, le BDVD emploie les techniques du premier avec la matière du second. Une approche différente dans l’art de raconter à laquelle Thorgal, le héros culte de Rosinski et Van Hamme, se frotte pour la seconde fois. Une expérience pour amateur de 9éme art qui mérite d’être tenté.

Pour avoir changé le destin qui était le sien, gravé sur la pierre sacré, le valeureux Thorgal a provoqué une véritable catastrophe, et plongé les siens dans le malheur. Amnésique, il s’est fait duper par la machiavélique Kriss : elle a fait de lui son amant et son complice. Terrifiant pirate, il s’attaque désormais à son propre peuple, les vikings. Et c’est sa famille qui va payer le plus cher ses fautes : seule face à la colère des vikings, sa femme est marquée au fer et bannie avec ses enfants, Jolan, qui commence seulement à maîtriser la magie que lui a enseigné son grand-père, et la petit Louve, qui communique avec les loups. Fuyant la colère et le danger, tous trois se mettent en route pour un hypothétique refuge. Une quête qui sera bien vite, pour Jolan, celle de retrouver son père et de le ramener à la raison…

Parmi les séries de bande dessinée qui jouissent d’une énorme popularité auprès des amateurs de tous ages, Thorgal est un cas exemplaire. Puisant à part égale dans les mythes antiques et la science-fiction, ce valeureux viking évolue dans une héroïc-fantasy exceptionnellement riche qui a déjà nourri 30 albums en 30 années d’existence. De par la fidélité et la curiosité sans cesse renouvelée des fans, Thorgal présentait le potentiel nécessaire pour tenter une seconde fois l’expérience du BDVD. Après Les faux dieux, voici Dans les griffes de Kriss. Le principe consiste non pas à adapter la bande dessinée en film, mais à mettre en mouvement les dessins. Ni livre d’image, ni animation, cette démarche hybride propose une autre façon de raconter. Profitant de la richesse des illustrations de Rosinski, tout est dans la façon d’attirer l’œil en jouant avec le mouvement limité des vignettes, l’usage des cadrages et des zooms, à la rigueur de quelques effets spéciaux. Le rythme de l’histoire, lui, est instauré par l’efficacité des doublages et l’omniprésence de la musique. On se rapproche ici de la tradition des feuilletons radiophoniques, disparue en France, mais toujours aussi vivace en Grande-Bretagne. Et l’alchimie fonctionne plutôt bien. Sa plus grande force ? Retrouver une partie de la liberté qu’offre la lecture d’une BD. Une liberté qui permet d’enrichir notablement l’exercice : on peut choisir de suivre l’histoire du point de vue d’un simple lecteur, ou en s’attachant à la vision d’un personnage en particulier : Kriss, Jolan, ou Thorgal…

A réserver aux amateurs de la BD (les néophytes risquent vite d’être perdus dans les méandres d’une mythologie très riche!), l’expérience n’est pas désagréable, moins statique que prévue, et parvient à capter l’attention avec une certaine efficacité. Très vite, pour compenser des combinaisons de mouvements forcément limités au cadre du dessin, c’est la notion de récit qui évolue puisqu’elle sollicite plus l’imagination du lecteur/visionneur. Bref, une expérience à tenter pour tout amateur de Thorgal. Des amateurs qui sont comblés, à commencer par le livre qui accompagne le DVD. Cahier de croquis, interviews des auteurs sur leur rapport avec le cinéma, approche historique de la société viking, tour d’horizon en BD et en film de ces fameux guerriers nordiques, courte BD inédite, le livre est riche en infos et en illustrations. En plus des 3 heures d’images proposées, le DVD comporte aussi deux bonus de choix. Le premier est un entretien plein d’anecdotes entre le dessinateur Rosinsnki et le scénariste Van Hamme. Ils y retracent la genèse de leur personnage, originellement appelé Ragnar, en remontant la chronologie de leur correspondance privée.

Le second bonus, baptisé Lames de fond, est un document rare : pendant 20 minutes, nous suivons la création par Rosinski de l’illustration qui fera la couverture. Commençant les esquisses à gros traits, nous voyons l’intention de l’artiste sortir du brouillon grossier, avant de naître véritablement sur la toile. Une vraie démonstration de la part de l’artiste. Et une invitation pour les apprentis dessinateurs à libérer leur trait et l’usage des couleurs. Nombre d’entre eux ont en effet tendance à se limiter, notamment sous l’influence du trait épuré du manga… De par sa longueur, le recours à quelques accélérés est probable, et on aurait sûrement apprécié quelques commentaires sur les techniques employées, le choix des matières, l’usage des couleurs. Reste un témoignage de grande valeur sur le travail de cet artiste. Notez que cet album/DVD est sortit sous deux formes : en format BD, et en format petit coffret, avec livre et DVD séparés. Nous avons une grosse préférence pour la seconde formule, définitivement plus séduisante…

Frédéric Lelièvre

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