Le dieu singe

A chaque heure du jour son animal symbole, à chaque heure de cette journée sa fonction. Au royaume de singes, les jours se suivent, identiques et harmonieux. Un seul d’entre eux ne se satisfait plus de cette routine: Sun Wukong, leur roi, né d’un œuf de pierre au sommet de la luxuriante montagne "fleur-fruit". Vif et agile, Sun Wukong a toute l’habileté du singe, tout son savoir-faire, mais une caractéristique le différencie des autres, au point que les divins habitants des hautes sphères célestes s’intéressent à lui. Sun Wukong est doué de raison. Il sait s’entretenir avec les autres animaux, aimer, penser. Et c’est bien cette pensée qui va être à l’origine de tout. Roi adulé pour avoir su prendre soin de son peuple, Sun Wukong vient à penser à son lointain avenir, lorsqu’il ne sera plus. Décidé à remédier à cette issue, il se met en route pour un long voyage à l’issue duquel il entend trouver la solution à ses questions: l’immortalité.

Un petit singe, une queue frétillante, une agilité inouïe jusqu’à bondir dans le ciel… Beaucoup songerons à Dragon Ball, le petit héros d’un des mangas star de la planète. Et n’aurons pas tort: Songoku est directement inspiré de cette fameuse histoire du dieu singe. Ce classique de la littérature chinoise repose sur une expérience réelle : celle du moine bouddhiste Xuanzang qui, au VIIeme siècle, accomplit un voyage de 17 ans aux Indes. A la demande de l’empereur Taizong, il traduisit les textes qu’il en avait rapporté afin de lui présenter les cultures exotiques qu’il avait ainsi rencontré. Nourrissant l’inconscient collectif chinois, Xuanzang devint un héros, et ses récits furent à l’origine de Xiyouji, l’un des plus célèbres roman-fleuve chinois, attribué à Wu Cheng’en, qui compte pas moins de 100 chapitres et dont on trouve la trace dès le XVIe siècle. Une épopée d’une richesse incroyable, mêlant poésie et fantaisie, allégorie et philosophie, mais aussi humour et critique. Adapter un monument pareil en BD n’est pas une tâche aisée, surtout pour un européen. Mais l’artisan de ce travail est un fin connaisseur de l’extrême orient, et sa maîtrise du 9éme art l’autorise à cette folie…

Scénariste prolifique couronné de succès, notamment avec la série Sillage, Jean-David Morvan est depuis longtemps un familier de l’univers graphique contemporain en extrême-orient. Editeur de la collection Ex-Libris chez Delcourt, il s’attache à nous faire découvrir des histoires très populaires que nous ne connaissons souvent que par bribe. Et son travail sur le Dieu singe est éloquent. Ni réducteur, ni soporifique, son récit parvient en quelques planches à recadrer les mythes asiatiques dans notre imaginaire, puis donne à l’aventure un rythme idéal pour la malice et la fougue du bondissant héros. Et cela, sans jamais que l’approche philosophique des épreuves et rencontres n’en soit trop édulcorée. Pour mettre ce travail en image, Morvan a fait appel un artiste chinois familier de cette histoire: Jian Yi. Rarement appelé à travailler sur ce type de collaboration, ses planches sont éblouissantes, d’une vigueur telle qu’on les croirait parfois figées d’un dessin animé… Pour avoir mis à la portée du jeune lecteur l’une des plus anciennes et des plus riches épopées, Morvan et Jian Yi ont fait de cette adaptation, prévue en 3 volumes, une perle à suivre de prêt !

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