Des mots dans les mains

La bande dessinée a toujours su s’aventurer dans des domaines inexplorés. Exemplaire de cette démarche, cet album investit un espace pratiquement vierge de fiction, particulièrement pour la jeunesse : les sourds et muets. Un étonnant passeport vers le quotidien d’un petit garçon qui nous ferait oublier son handicap.

Arthur est un petit bout de chou plein d’énergie, avide de découvertes et de rencontres comme tout enfant de 6 ans. Il serait comme n’importe quel autre gamin s’il n’avait ces petits appareils dans les oreilles. Il faut dire que sa mère a laissé ses cheveux pousser pour qu’on ne les voit pas. Parce qu’Arthur est sourd et muet. Il ne connaît pas le son de sa voix, ni celui de la voix de sa mère. Il ne comprend pas toujours ce que lui disent les copains pendant les parties de foot acharnées, ce qui provoque des drames. Et il faut parfois qu’il fasse de gros efforts pour comprendre ce que la maîtresse a demandé de faire avant d’être perdu. Mais cela ne l’empêche pas de rayonner de bonheur et de se faire comprendre de tout le monde…

Une journée sans parole
Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un petit garçon qui ne sait pas ce que c’est d’entendre, à l’âge où on découvre, où on affirme sa personnalité ? Et surtout, comment l’expliquer à des lecteurs à peine plus vieux que lui ? C’est un duo féminin qui a trouvé une belle solution en créant cette BD absolument craquante. Passionnée de fiction et de BD, c’est Bénédicte Gourdon, psychologue auprès des sourds, qui a signé le scénario tout en douceur de la journée du petit Arthur. Et sa parfaite connaissance de cette réalité lui permet de créer un récit au rythme sans faille. Grâce à son écriture très judicieuse, de petits détails en réflexions pleines de bon sens, on suit le petit héros pas à pas avec un réel plaisir. Et il ne faut pas trois pages pour cesser de voir un handicap mais plutôt une différence. Car si la problématique de la surdité dans un monde d’entendants est toujours présente, elle sait porter l’attention du lecteur sur des particularités propres aux sourds.

Adorable Arthur
On sait par exemple que lorsqu’un entendant se lance dans l’apprentissage du langage des signes, le plus dur pour lui reste de maîtriser le langage du corps, la science des expressions de visage. Dans la BD, un jeu de mime à l’école met joliment cette spécificité en image. Chaque scène, chaque nouveau défi est une occasion pour décrypter la situation du point de vue du sourd. Intuitivement, sans forcer le trait ou se lancer dans un discours clinique, les plus jeunes lecteurs saisiront les nuances, les impératifs, les choix dont le sourd dispose pour palier à sa différence. Malin, observateur, vif d’esprit, Arthur trouve ses propres moyens de s’exprimer, de se faire comprendre et d’interpréter. Une inventivité aussi attendrissante que captivante, restituée en quelques mots. Une économie de verbiage qui fait partie de l’attrait de ce volume.

Un trait sur mesure
De fait, cette histoire toute simple balaie d’un clin d’oeil tout misérabilisme ou fatalisme, et n’ennuie jamais. Un exercice original et réussi qui doit aussi énormément au trait de Malika Fouchier. Mixant avec une belle habileté la construction BD et une esthétique très inspirée du manga, la dessinatrice imprime à toutes ses planches une énergie qui chasse définitivement tout risque d’ennui. Au rythme des galopades du petit héros, ça bouge, c’est drôle, tendre – comme les couleurs très étudiées de Le Gohan- , bref aussi expressif que peut l’être un gamin sourd pressé de s’exprimer.

Destiné aux plus jeunes, mais aussi aux autres, cette BD réussi haut la main sa mission de présenter le monde vu par un petit sourd à tous les enfants qui pourraient croiser un petit camarade malentendant. Les enfants malentendants y retrouveront assurément beaucoup de leur propre quotidien, les autres adopteront cette leçon de différence avec la gourmandise d’un récit bien mené. A cet égard, le trait plein de vie de Fouchier, son style manga survitaminé, est un atout considérable pour captiver la jeune classe. Un autre détail qui compte : Arthur est un personnage absolument craquant que les plus grands risquent fort d’adopter. En tout cas, on vous y encourage !