INTERVIEW > PEOPLE > Tugan Sokhiev dirige depuis 2 ans l’Orchestre national du Capitole de Toulouse…
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09 novembre 2007 : {show_category} > PEOPLE
Ce jeune chef d’orchestre, étoile montante qui dirige depuis 2 ans l’Orchestre national du Capitole de Toulouse propose aujourd’hui sa version de Pierre et le Loup et fait découvrir à l’occasion des petits bijoux russes rarement joués !
{mosimage}Vous souvenez-vous de vos impressions d’enfant lorsque vous avez entendu « Pierre et le Loup » pour la première fois ?
Tugan Sokhiev : C’était à l’école, je devais avoir huit ans… En Russie, on a des cours d’éducation musicale à l’école primaire et « Pierre et le loup » fait partie du programme. Curieusement, c’est l’histoire qui m’avait intéressé, plus que la découverte des instruments. C’est en grandissant qu’on se rend compte que l’analogie des personnages avec la musique est tenace et qu’elle a durablement imprégné notre inconscient.
Quelles sont pour vous les vertus pédagogiques du conte musical de Prokofiev ?
T.S. : « Pierre et le loup » ouvre toutes grandes les petites oreilles et développe intelligemment les voies de l’imagination. Avec les enfants, il faut déployer beaucoup d’astuce pour retenir leur attention et leur donner envie d’aller plus loin, d’ouvrir d’autres portes.
Prokofiev n’aimait pas beaucoup les enfants et ça ne l’a pas empêché d’écrire un chef-d’œuvre. Il n’aimait pas les communistes non plus et a écrit d’extraordinaires pièces à la gloire du régime.
T.S. : Prokofiev a eu des relations très difficiles avec ses propres enfants, mais l’artiste qu’il était a tout saisi du monde de l’enfance. La raison profonde, à mon avis, c’est qu’il n’a jamais cessé d’être un enfant lui-même. Il écrit les choses telles qu’il les voit, telles qu’il les pense…
De la même façon qu’un enfant dit tout haut ce qu’il pense !
T.S. : Oui, c’est ainsi que s’exprime Prokofiev.
Ravel aussi était très proche du monde de l’enfance.
T.S. : Oui, mais Prokofiev est beaucoup plus direct. Avec lui, c’est noir ou blanc ! Ravel est français, c’est très différent. Il s’exprime d’avantage en demi-teintes. Je n’imagine pas Ravel écrire la « Symphonie classique ». Prokofiev l’a composée pour clouer le bec à ceux qui disaient qu’il était moderne par incapacité d’être classique. C’est une réponse sarcastique. Ravel n’est jamais dans le sarcasme.
Comment avez-vous travaillé avec Valérie Lemercier ?
T.S. : C’est la première fois que j’ai donnée cette œuvre avec une femme. Valérie Lemercier m’a fait une impression fantastique : elle possède une très forte personnalité tout en restant très accessible. C’est une star, sa voix est immédiatement reconnaissable et capable d’infinies nuances. J’ai aussi collaboré avec Michel Blanc sur un « Pierre et le loup » à Toulouse. Son pouvoir d’attraction sur le jeune public était phénoménal.
La caractérisation d’un morceau est l’un des défis les plus délicats qui se pose à l’interprète. Est-ce plus facile quand il s’agit de musique descriptive comme ici ?
T.S. : Non, c’est aussi difficile. Le clarinettiste doit vraiment donner l’impression silencieuse et douce de la patte du chat qui se pose ; on doit sentir le poids exact des coussinets, ni trop lourds ni trop légers. De même les cors, qui caractérisent le loup, doivent trouver la couleur sombre qui permet d’imaginer les crocs de l’animal briller dans l’obscurité.
Quels sont les moyens musicaux qu’utilise Prokofiev pour raconter son histoire ?
T.S. : Des moyens très simples ! Il a besoin de peu de choses pour donner vie à son histoire. Prenez la descente du nœud coulant, c’est une banale gamme descendante : impossible d’imaginer autre chose que ce que Prokofiev décrit précisément et sans ambiguïté. Un seul accord lui suffit pour changer d’atmosphère. Pensez à Richard Strauss, qui a besoin d’un orchestre immense utilisé dans sa totalité pour s’exprimer. Prokofiev est nettement plus économe.
Qui a eu l’idée de compléter le programme avec Liadov et Rimski-Korsakov ?
T.S. : C’est moi. Les trois pièces de Liadov sont très imagées. Kiki Mora est un personnage que tous les enfants russes connaissent. C’est un petit monstre aquatique, mignon en apparence, qui vole les enfants. Le compositeur commence par une berceuse et fait enfler progressivement la musique… Baba Yaga est une sorcière toujours représentée par un seau et un balai. La pièce s’achève par un grand diminuendo et une note finale à la flûte, qui évoque très bien sa fuite et la disparition de sa silhouette à l’horizon… C’est de l’impressionnisme russe, plus naïf que l’impressionnisme français.
Ne trouvez-vous pas que le dénouement de « Pierre et le loup » est particulièrement dur pour le canard ? C’est rare, dans un conte pour enfants, d’assister à la punition injuste d’un personnage à la fois sympathique et innocent !
T.S. : Visiblement, vous ne vous en êtes pas remis… C’est dire la force du conte de Prokofiev ! Je ne vois pas les choses comme ça. Le sens de la cruauté ou de la justice ne doit pas être le même en France et en Russie (rires). Pour un Russe, demain sera toujours meilleur, même si la situation est désespérée. Le canard est toujours vivant et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Retrouvez-vous votre part d’enfance en dirigeant « Pierre et le loup » ? Après tout, un orchestre est un magnifique jouet pour le gosse que vous êtes toujours…
T.S. : Magnifique, mais trop coûteux pour oublier l’adulte qu’on doit rester. Moi, je vois plutôt l’orchestre comme un jardin que l’on doit entretenir régulièrement. Il faut s’en occuper tous les jours, l’arroser régulièrement, ne rien laisser à l’abandon. Planter des fleurs pour demain et des arbres pour dans dix ans… La beauté d’un jardin se mesure à la quantité d’amour et d’attention qu’on lui donne. C’est pareil pour un orchestre et pour à peu près tout ce qui compte dans la vie.
Propos recueillis par Olivier Bellamy {tab=ARTICLES LIES} {mosmodule module=Related News} {mosmodule module=Related Tests} {mosmodule module=Related Dossiers} {mosmodule module=Related E-mag} {mosmodule module=Related Videos} {/tabs}
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