Interview du réalisateur et co-scénariste des Trois Brigands
{xtypo_dropcap}A{/xtypo_dropcap} l’occasion de la sortie du DVD « Les Trois Brigands », nous avons eu l’occasion de rencontrer Hayo Freitag, réalisateur et co-scénariste de ce dessin animé coup de coeur de la rédaction !
Pour s’attaquer à l’adaptation d’un classique tel que Les trois brigands de Ungerer, il fallait un véritable artiste, capable de saisir la richesse d’un style comme celui de Tomi Ungerer, tout en ayant une parfaite maîtrise de l’animation. Hayo Freitag était l’homme de la situation ! Etudiant en art et en philosophie, son rapport intense à l’image l’a conduit à de nombreux ouvrages d’éditions allant du livre de photographies à l’illustration pour adulte en passant par la satire politique. Scénariste, dessinateur, il se fait réalisateur et conçoit ses premiers courts métrages d’animation dès 1984. Un travail vite reconnu que l’on retrouvera jusque dans les sélections du musée d’art moderne de New York. Designer de personnages, animateur puis bientôt réalisateur, il travaille pour le petit écran , créant des séries à succès outre-rhin comme Max et Moritz. En 1999, c’est en salle qu’il connaît un beau succès avec le très populaire Capitaine Ours Bleu (Käpt’n Blaubär). Inconnu chez nous, le film est primé du Lola d’or du film allemand en 1999… C’est avec toute sa fantaisie et la bénédiction de Ungerer qu’il est parvenu à faire un film emballant d’un classique du livre pour enfant…
Top-Parents : Adapter Ungerer semblait difficile. Les trois brigands a pourtant su trouver son public puisqu’en France, il a attiré pas loin de 500.000 spectateurs dans les salles !
Hayo Freitag : J’en suis ravi. C’est un bien meilleur résultat qu’en Allemagne ! Chez moi, nous avons été mis en concurrence avec Ratatouille, et sous prétexte que les barbes noires pouvaient faire peur aux enfants, celles des trois brigands ont été coloriés sur l’affiche !
T.P. : Pourquoi?
H.F. : Ne me demandez pas ! Je n’en sais rien. Ça m’a tellement mis en colère !
T.P. : Les adultes prennent souvent des précautions qui n’ont rien à voir avec les attentes du jeune public… En tant que réalisateur, quelle est votre définition d’un film pour enfant ? Y a-t-il des règles à respecter ? Des limites ?
H.F. : La règle, c’est de respecter son public, de le connaître. Mais je ne mets aucune limite à ma fantaisie. Les seules limites sont mes limites ! Le problème venait toujours des… producteurs. Par exemple, ils voulaient différencier chaque brigand : celui qui est plus jeune, celui qui est séduisant… Et moi je les voyais comme une unité, une trinité indissociable. Les différencier ainsi, c’eut été détruire l’harmonie du conte, et le sel de l’histoire. Il a fallu ainsi que je défende chaque idée pied à pied. Chaque petit détail pouvait être à l’origine d’une bataille intense. Une grande part de mon travail a été consacré à préserver mes idées, et à répondre à tellement de question idiotes ! Merci aux producteurs pour avoir capitulé !
On voit trop souvent le film pour enfant comme un marché, un ciblage. Le spectateur de 7 ou 8 ans devaient pouvoir s’amuser. Mais c’était aussi mon objectif et celui de toute l’équipe : prendre plaisir à l’aventure. Après, que ce soit pour une enfant ou un adulte, la définition d’un bon film est la même !
T.P. : Quelle est votre relation personnelle avec le travail de Tomi Ungerer ?
H.F. : C’est une question complexe, parce que cette relation est extrêmement riche ! Je suis un collectionneur de ses livres depuis l’age de 16 ans. Et le premier que j’ai acheté, sans mentir, était les trois brigands ! Son travail, tout au long de sa carrière, est d’une richesse dingue. Il a abordé tellement de thèmes, de styles. J’ai une immense admiration pour son travail d’artiste.
T.P. : N’est-ce pas compliqué d’adapter le travail de quelqu’un que l’on admire ?
H.F. : Je ne l’admire pas à ce point ! Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas que cette relation affecte votre propre personnalité. Ça n’est pas une icône, mais une immense inspiration. C’est aussi l’une de ses forces. Il ne fait pas de vous un esclave, il vous rend plus libre. C’est le sens même de son art… Je voulais être fidèle à ce livre intemporel, tres « cartoon » dans son genre. Mais Ungerer était très critique, y compris par rapport à son travail de 1962. C’est un artiste, en perpétuelle évolution, qui n’hésite pas à trouver que ses illustration pourtant célèbres, ont vieillis. Avec son recul, et mon acharnement, j’ai pu faire de ce projet mon projet.
T.P. : Quelle riche idée d’en avoir fait la narrateur du film…
H.F. : Il était nécessaire d’avoir sa voix. Il fallait qu’il soit le narrateur pour que ce soit authentique. Qu’il soit la voix qui raconte, du début à la fin, comme celui du parent qui raconte l’histoire à l’enfant…
T.P. : Mais comment faire de 30 pages essentiellement illustrées le scénario d’un film d’1h15 ?
H.F. : Nous avons d’abord parlé des personnages. Dans le livre, on en apprend très peu. Il y a ces trois brigands mystérieux, et la petite fille. La tante est juste mentionnée. Tous ces personnages sont « vides », et c’est au lecteur de les remplir avec sa fantaisie. C’est tout le lyrisme du livre : vous êtes aussi l’auteur en remplissant ces vides. Je pense que c’est là le secret de toute forme d’art : laisser l’opportunité de devenir acteur, la liberté de compléter par soi-même. A l’inverse de tous ceux qui vous assènent leur jugement sur ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est bon, mauvais…
T.P. : En regardant le film, on se souvient de choses, d’images… qu’Ungerer n’a pourtant jamais dessiné dans son livre.
H.F. : C’est un vrai compliment dont je suis très fier. Mon travail était comme de chercher ce qu’il y avait de caché dans le livre, derrière les arbres, les personnages. Et de le mettre en image…
T.P. : Comme une version « uncut » du livre ?
H.F. : Voilà !
T.P. : Pourtant, certains passages sont complètements originaux, comme toutes les scènes de l’orphelinat. On jurerait les avoir vu dans le livre, qu’il s’agisse d’adultes qui connaissent le conte depuis toujours ou d’enfants qui viennent de le découvrir. Des enfants qui font très peu de différence entre l’univers du livre et celui du film.
H.F. : Cela me touche énormément. Cela me rappelle une anecdote. J’avais fait un test d’animation en noir et blanc, une première version pas du tout aboutie, et je l’ai montré à des enfants pour avoir leur avis. Ensuite, je leur ai expliqué que j’allais en faire un film d’animation, en couleur. Et ils m’ont répondu, « mais vous venez de le faire »! Dolby, Animation par ordinateur, effets sonores, effets spéciaux, tout cela c’est la vanité des adultes ! Les enfants trouvent déjà leur bonheur dans une animation noir et blanc imparfaite…
T.P. : Et comment avez-vous retrouvé le style d’Ungerer ?
H.F. : Pour le respecter, vous devez forcément le changer. C’est un cauchemar d’animer un œil s’il n’est pas bien défini par un trait, comme dans les illustrations de Ungerer. Mais en même temps vous devez aussi tout garder ! La clef c’est une chimie, un ensemble qui repose sur la motivation, l’engagement de chacun. Il faut susciter, nourrir l’image sans diriger . Ça ne peut pas se concevoir comme avec une machine à calculer. Il faut écrire entre les lignes de l’auteur, sans être trop directif.
T.P. : A l’exemple de l’usage de la musique, qui accompagne, rythme, ponctue.
H.F. : … Prenez la musique d’un film des Pirates des Caraïbes. Elle est trop forte, trop envahissante ! Avec Les Trois Brigands, la musique est plus « honnête », c’est un guide dont la présence est dosée.
T.P. : On présente souvent le petit monde des Trois Brigands comme un « No man’s land » entre le bien et le mal. Avec l’esprit de Ungerer, on se trouve aux antipodes du manichéisme qui marque tant d’univers destinés à l’enfance…
H.F. : Tout à fait. Et c’est très facile de le saisir dans l’histoire. Tiffany c’est un rayon de soleil dans le monde sombre et gris des adultes où les enfants travaillent comme des forçats. Et c’est aussi une formidable menteuse !
T.P. : Et par son mensonge, ceux qui paraissaient mauvais s’avèrent finalement bons… C’est pour cette approche que vous avez choisi cette histoire ?
H.F. : Non. Sinon, par sympathie pour les menteurs ! Godard dit que la vérité est dans la seconde. Le reste est un mensonge : le cinéma répète une même image 24 fois par seconde, et nos yeux sont si fainéants qu’ils se laissent abuser et voient un mouvement !
T.P. : Certaines scènes peuvent faire peur, mais les enfants adorent cela. Voyez-vous une limite à l’usage de ces scènes ? La traversée angoissante de la forêt est rythmée par l’apparition de tas de petits animaux incongrus. Est-ce une façon de tempérer cette angoisse ?
H.F. : Oui. Et j’ai soigneusement sélectionné non pas les meilleurs gags, mais ceux qui s’intégraient le mieux. Ceux qui entraînaient un sourire et non pas un éclat de rire. C’est un peu une question d’instinct, mais c’est par cette chimie que l’on peut ménager le sentiment de peur sans qu’il n’envahisse tout.
T.P. : Le personnage de la tante, le plus effrayant, est très apprécié des enfants !
H.F. : Absolument. Ce personnage, je l’ai volé à… Hitchcock ! C’est la belle-mère dans son film Rebecca qui m’a inspiré l’ombre de la Tante des Trois brigands. J’aurais aimé avoir encore plus de temps pour travailler sur ce personnage…
T.P. : Le public français découvre de plus en plus l’impressionnante production allemande de fiction pour enfants, le creuset de personnages très populaires outre-rhin et complètement inconnus chez nous. Quel opinion avez-vous de la production française pour enfant ?
H.F. : J’ai été très agréablement surpris par le jugement des médias en France. Ils prennent le film au sérieux, l’apprécie pour certaines qualités. En Allemagne, le film est présente comme « un film pour enfant » et c’est fini. Nous n’avons pas une culture des auteurs de dessin animés comme la votre. La fiction pour enfant est un marché et le genre n’est pas considéré de la même façon. Le jugement de la presse française est beaucoup plus valorisant ! Maintenant, nous avons autant à découvrir de votre culture que vous de la notre. C’est d’ailleurs un des grands objectifs de Ungerer que d’encourager cet échange.
Propos recueillis par Frédéric Lelièvre
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